MARTEAU ROUGE UN JEU DE CONSTRUCTION
Le 1er février, Jean-François Pauvros, Jean-Marc Foussat et Makoto Sato abattront leur Marteau Rouge sur Le Kremlin-Bicêtre pour donner le coup d'envoi du festival Sons d'Hiver. Vingt-trois ans d'amitié et de prises de risques. Par Lorraine Soliman.
"JOUER DE LA MUSIQUE IMPROVISÉE, C'EST UN CHOIX POLITIQUE."
Marteau Rouge, c'est une histoire de rencontres et d'amitié, « qui s'est faite comme ça », un soir de Premier de l'An au début de la décennie 1990. Une rencontre improvisée en quelque sorte. Amis, voisins et surtout complices en sons divers : Jean-François Pauvros, Jean-Marc Foussat, Makoto Sato. Guitare électrique, synthétiseur analogique, batterie et percussions : le trio se trouve un son, d'emblée. Et se lance dans une aventure originale, qui dure et se prolonge spontanément d'un concert à l'autre, sans rupture, sans répétitions, sans leader et sans filet.
« C'est un groupe qui est ce qu'il est, constitué d'individus qui sont ce qu'ils sont au moment où ils sont. », résume Pauvros. « Nous, on ne travaille pas, on vit. Je veux dire par là que l'improvisation ça n'existe pas. L'improvisation c'est un moment donné, on est ensemble pour jouer », poursuit-il en évoquant l'anecdote de Picasso expliquant à son ébéniste qu'il n'avait pas mis trente secondes à faire le dessin destiné à la rémunérer pour son travail, mais cinquante ans et trente secondes.
« MAIS NOUS, ON EST DES VERS DE TERRE »
Le courant passe entre eux, et cette constante assortie d'une « naïveté forte » leur permet de faire vivre le trio depuis vingt ans, quelles que soient les circonstances. Chacun reste soi-même, c'est essentiel, et rien n'est jamais figé. « C'est un jeu de construction », explique Makoto Sato. Ça circule non-stop et sans autre règle que l'écoute réciproque et la connivence spontanée. « Avec Marteau Rouge, je pense constamment en termes de complémentarité », poursuit-il. Complémentarité et transfert des textures, des couleurs, des allures et des énergies. La guitare imprévisible de Pauvros et les sons mêlés-enchaînés du VCS3 fusionnent facilement et forment un duo retentissant auquel les percussions de Sato répondent par un jeu tout en suspension. Leur musique est inclassable, et ce n'est pas un hasard. Du « free-rock-jazz-punk-électro-industriel », décrivait Lionel Eskenazi dans ces pages en 2008, à propos du "Live" de Marteau Rouge avec Evan Parker. Et bien d'autres choses. « On est là pour tout mélanger et pour faire des passerelles entre les gens », commente Pauvros : « L'étiquetage c'est vraiment mortel en France. Alors le tout c'est de s'échapper. Enfin, il ne s'agit pas de se forcer à s'échapper, mais de l'être. Et nous le sommes. Ne serait-ce que parce que politiquement et dans la vie, un musicien dans mon genre a la chance de traverser les différentes strates de la société. Il m'arrive aussi bien de dormir dans un quatre étoiles que dans un couloir avec des clodos. Et donc, on est comme des vers de terre! On a cette possibilité et ce devoir de prendre des choses qui sont dans d'autres strates et de les mélanger. Il y a quelquefois des musiciens extraordinaires qui sont des vers luisants. Ça ne dure pas longtemps. Ça peut être un Hendrix dans le rock... Mais nous on est des vers de terre. » Sans oublier que la musique est aussi (surtout ?) un plaisir personnel, « physique, érotique, sexuel, intellectuel »... Ce qui compte, c'est encore une fois le mélange des genres, des gens, et la transformation « de ce qui se passe en quelque chose d'émotionnel ». Une musique qui parle au corps avant tout, le plus spontanément possible et dans la quête de l'inouï, quitte à faire un bide... Pour le trio Marteau Rouge, point de musique sans prise de risque, on l'aura compris. « On vit dans un monde d'assurés totaux. Je me suis toujours demandé quand est-ce qu'il y aura une assurance suffisamment forte pour dire aux gens quand ils iront voir un spectacle de musique dite moderne: "Vous êtes remboursé si vous n'êtes pas content" », s'agace Pauvros. « Mais jouer de la musique improvisée, c'est un choix politique, c'est une force, ça ne s'apprend pas dans un cursus de conservatoire. Je préfère qu'un jour on fasse un très mauvais concert. C'est ça le risque. » Ou un très bon disque ? Mais un 33-tours alors, « parce que c'est un véritable objet, pérenne et adapté aux gens qui aiment le son », rappelle Jean-Marc Foussat, initialement enregistreur autodidacte passé pionnier puis maître au synthétiseur analogique(1). Ce disque, c'est "Noir", sans mauvais jeu de mots. Et il n'y a apparemment rien à en dire, sinon qu'il faut sans doute l'écouter. De toute façon, « il y a trois choses à faire, le cas échéant: écouter les disques, aller au concert pour écouter la musique avec un effort de sympathie, et à la limite venir boire un verre avec nous, et voilà.» LS
(1) Jean-Marc Foussat dit avoir enregistré le premier solo de synthétiseur sur son album "Abattage", sorti en 1983 (Pyjama).
DISQUE "Noir" Gaffer Records, 2012
CONCERT 1er février, Le Kremlin-Bicêtre Espace (Culturel André Malraux, festival Sons d'hiver).

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